Interview de Jean-Marc Ayrault dans Le Monde : « si l’on ne sort pas de l’impasse, nous courons à la catastrophe »

Les autorités françaises organisent, vendredi 3 juin à Paris, une réunion internationale sur le Proche-Orient avec les ministres des affaires étrangères ou les représentants de quelque 28 pays et organisations internationales pour relancer un processus de paix israélo-palestinien dans l’impasse. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, explique les enjeux de cette initiative au Monde.

JPEG

Pourquoi cette réunion a-t-elle lieu maintenant ?

Notre volonté est de sortir du statu quo actuel. Sur le terrain, notamment dans les territoires palestiniens, la situation se dégrade. La colonisation se poursuit, organisée ou diffuse. Pour un visiteur qui se rend sur place, il est palpable que se réduit l’espace disponible pour un État palestinien. Dans les territoires palestiniens ou dans les camps en Jordanie et au Liban la propagande de Daech [acronyme arabe de l’organisation État islamique] exploite le désespoir. Tous ceux qui sont soucieux de la paix et veulent la sécurité dans la région font ce même constat. J’ai largement consulté : les pays de la région s’inquiètent de cette situation sans perspective.

La solution des deux États, un État israélien et un État palestinien, vivant côte à côte, en paix et en sécurité, avec Jérusalem pour capitale partagée, a toujours été la position de la France. Elle avait été présentée par François Mitterrand devant la Knesset en 1982, lors de sa visite historique. Cette perspective s’éloigne. Il n’y a pas de négociation directe israélo-palestinienne. Il faut donc reprendre l’initiative au niveau international pour créer un contexte favorable.

Cette initiative peut-elle avoir plus de succès que les tentatives menées auparavant par les États-Unis, notamment celle du secrétaire d’État John Kerry ?

Le secrétaire d’État américain s’est beaucoup investi dans une médiation. Son constat est semblable au nôtre. Il faut créer un nouveau climat à l’échelle internationale pour dire aux deux parties : nous n’allons pas négocier à votre place, c’est votre responsabilité, Israéliens et Palestiniens, mais nous voulons vous aider. La dernière conférence internationale était celle d’Annapolis (aux États-Unis), il y a neuf ans. Notre ambition est donc de remobiliser la communauté internationale.

Dans cette perspective, nous partons de tout le travail accompli jusqu’à présent : les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, les principes de Madrid, c’est-à-dire « la terre contre la paix », l’initiative arabe de paix de 2002 et la feuille de route du Quartet [États-Unis, UE, Russie et ONU]. Le 3 juin, je proposerai la formation de groupes de travail qui recenseront les contributions des différents pays présents afin de mettre en lumière, en direction des peuples israéliens et palestiniens, les dividendes de la paix.

Concrètement ?

Je vise, à l’issue de cette réunion, deux résultats : la confirmation de la perspective d’une conférence avec les parties d’ici à la fin de l’année et la mise en place de plusieurs groupes de travail. L’un d’eux aura pour thème les incitations économiques comme, par exemple, l’offre de partenariat privilégié avec l’Union européenne et un accord d’association pour le futur État palestinien. Un deuxième groupe se concentrera sur l’environnement régional et les garanties de sécurité.

L’Autorité palestinienne soutient cette démarche. Attendez-vous autre chose de sa part ?

Comme je l’ai évoqué en rencontrant par deux fois le président [Mahmoud] Abbas, les Palestiniens ont aussi un travail à faire : la réconciliation interpalestinienne et l’unité entre la Cisjordanie et Gaza. Cela ne peut se faire que sur une base très claire, celle de l’agenda de paix et de dialogue porté par le président palestinien. Il faut que le Hamas fasse le premier pas et accepte le cadre fixé par la communauté internationale, c’est-à-dire la reconnaissance de l’État d’Israël et des accords passés, et la renonciation à la violence.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, affirme que la seule solution repose sur des négociations directes.

Aujourd’hui, ces négociations directes n’existent pas. Quand j’ai rencontré Benyamin Nétanyahou, il m’a dit être favorable à la solution des deux États, mais opposé à la méthode que nous proposons. Ce désaccord de méthode peut être surmonté. Si l’on ne sort pas de l’impasse actuelle, nous courons à la catastrophe. Le contexte a changé : le développement du terrorisme a un impact, y compris dans cette partie de la région. Il s’agit d’un danger pour Israël. La France est l’amie d’Israël, et il y a aujourd’hui une réelle inquiétude pour sa sécurité et son avenir.

Avec la nomination d’Avigdor Lieberman au portefeuille de la défense, l’actuel gouvernement israélien est le plus à droite de l’histoire du pays.

Israël est une démocratie, c’est au peuple israélien qu’appartient le choix de son gouvernement. Des désaccords sont exprimés publiquement au sein même du gouvernement, où un ministre vient de démissionner. Il y a des discussions au sein de l’armée. Notre initiative ne peut que contribuer à faire avancer le débat, y compris en Israël.

Le projet initial prévoyait la reconnaissance de la Palestine par la France en cas d’échec de ce processus. Pourquoi n’en fait-on plus mention ?

Il y a quelques mois, vous m’auriez dit qu’une telle réunion était impossible. J’ai voulu créer les conditions pour qu’elle ait lieu. Je ne m’inscris pas dans la logique de l’échec. Mes interlocuteurs palestiniens l’ont parfaitement compris et ils ont d’eux-mêmes décidé de retirer le projet de résolution sur la colonisation qu’ils voulaient présenter à l’ONU. Il faut avoir le maximum de pays autour de la table afin de dépasser une situation de blocage et arriver à cette solution des deux États.

Les Américains sont en campagne électorale. Cela ne complique-t-il pas la donne ?

C’est sûrement moins confortable pour l’administration Obama et, en même temps, cela justifie encore plus notre initiative pour recréer une dynamique. John Kerry comprend le sens de notre démarche et sera présent à Paris. C’est le cas de beaucoup d’autres pays ou d’organisations internationales. C’est un beau résultat politique, j’y vois la reconnaissance de la constance de l’engagement et des positions de la France sur ce conflit. Même quand nos interlocuteurs expriment des désaccords, personne ne doute de la sincérité de la France.

Propos recueillis par Marc Semo et Christophe Ayad

Voir aussi :

JPEG

dernière modification le 03/06/2016

haut de la page